Comme on connaît assez précisément le taux de chute d’une voile en ligne droite, on peut détecter, sur la trace, tous les segments où la vitesse ascensionnelle de l’air est positive. Ce sont toutes ces zones que l’on désignera sous le terme « ascendances ». Chaque zone où le pilote s’arrête pour enrouler est comptée pour une seule et même ascendance même si elle comporte plusieurs giratoires ou si, par endroits, le vario a été négatif. La vitesse moyenne du vent météo qui déplace la CLA a été calculée, pour chaque heure de la journée, en verticalisant tous les giratoires pour obtenir un vent local, puis en lissant toutes les valeurs pour obtenir un vent moyen. On peut tester la pertinence de la méthode en comparant le vent moyen obtenu pour chaque pilote. Les écarts ne dépassent pas 1 à 2 km/h en force et quelques degrés en direction alors même que les vents locaux pour chaque giratoire individuel sont beaucoup plus dispersés. Les distances dont on parle ici ne sont pas des distances géographiques mais des distances dans la CLA, c’est-à-dire des distances géographiques corrigées du vent météo moyen qui déplace la CLA.
Pour le pilote de plaine, la distance entre les ascendances est un élément essentiel. Toutes ne sont pas exploitables. Il faut pour cela que la vitesse ascensionnelle dépasse le taux de chute de la voile. Il faut aussi que la largeur soit suffisante pour pouvoir enrouler. Enfin, il existe des zones où, même par une journée ensoleillée, il n’existe aucune ascendance. L’étendue de ces zones est un élément critique pour la réussite d’un vol de distance.
Pour étudier la distance entre les ascendances, on a retenu deux journées où le record de France de distance en plaine a été battu. Ces jours là, plusieurs pilotes on réussi des distances dépassant les 300 kilomètres, voire 400 kilomètres pour les records. Pour chacune d’entre elles, on a sélectionné les traces de quatre pilotes qui, partis du même décollage, ont suivi des cheminements différents.
La journée de 1er mai 2016 au départ de la côte des Deux Amants, près de Rouen, s’est déroulée par un vent de nord, légèrement nord-ouest et a conduit Martin Morlet jusqu’aux confins du Massif Central. L’analyse des quatre traces a été menée sur un peu plus de 200 km, c’est-à-dire après le franchissement de la Loire.
La journée du 13 mai 2019 au départ de Chamery, près de Reims, est également intéressante. Trois pilotes se sont arrêtés à la Loire. Seul Fred Delbos a continué au-delà. Pour les besoins de la comparaison, la trace de Fred a été arrêtée à la Loire. Le vent était orienté est-nord-est. Pour les deux journées, le vent météo moyen était soutenu, forcissant de 23 à 27 km/h au cours de la matinée. Il a même atteint les 35 km/h en fin de journée, aux confins du Massif Central.
On a examiné toutes les ascendances traversées par les pilotes. Pour définir les zones ascendantes, on est parti de l’altitude GPS. Elle a été filtrée sur 10 secondes. On ainsi obtenu le vario, positif ou négatif, auquel on a ajouté le taux de chute de la voile (1 ou 1,1 m/s selon les voiles). Toutes les zones où le pilote a enroulé sont considérées comme une seule et même ascendance, même s’il y a eu plusieurs giratoires. Pendant les transitions, on constate que le pilote traverse une ou plusieurs ascendances.
La position de l’ascendance est donnée par la position moyenne entre le point d’entrée et le point de sortie. On obtient ainsi une liste des distances entre ascendances pour les vols de chaque journée.
On range les ascendances dans des classes de distance : une classe tous les 200 m. Ainsi, les distances de la classe 100 sont toutes celles comprises entre 0 et 200 m, celles de la classe 300, comprises entre 200 et 400 m et ainsi de suite. On peut alors compter les ascendances par classe pour définir une répartition statistique.
En bleu, la distribution du nombre d’ascendances par classe de distance, en rouge la décroissance exponentielle qui coïncide le mieux avec cette répartition.
Le nombre d’ascendances suit une décroissance exponentielle, sauf pour la première classe qui comprend toutes les distances entre 0 et 200 m où le nombre de ces ascendances est nettement inférieur à ce que donne la courbe de décroissance exponentielle. Mais il faut se souvenir que les altitudes ont été filtrées sur 10 secondes. Comme les voiles se déplacent dans les transitions à 10 m/s, ce filtrage fait disparaître la majorité des distances de moins de 100 m.
La répartition en exponentielle décroissante n’est pas une surprise, s’agissant d’une Couche Limite Atmosphérique thermique, donc turbulente (Kolmogorof : Théorie de la turbulence dite K41, Obukhov, Deardorff). Mais, du coup, la notion de distance moyenne entre ascendances n’a guère de sens. Toutefois on observe que les deux journées ont un profil différent. La journée de Chamery comporte une proportion nettement supérieure de courtes distances ce qui a pu donner une CLA moins lisible. La moyenne des altitudes de vol est de 1300 m pour les Deux Amants et seulement de 1000 m pour Chamery. De même, la hauteur estimée de la CLA est de 1500 m pour les Deux Amants et de 1300 m pour Chamery.
Toute l’habileté du pilote va être de sélectionner, parmi ces ascendances, celles dont le potentiel est suffisant pour lui permettre un gain conséquent.
L’analyse des traces permet d’identifier les zones de la trace où la vario est positif. Par définition, on les appelle « domaines exploitables », même s’ils sont trop brefs pour être effectivement exploitées. Le même travail que précédemment donne la figure suivante :
Le chiffre en ordonnée représente le pourcentage d’ascendances exploitables de la catégorie considérée. On observe que beaucoup de distances se situent dans la plage qui va de 700 à 1500 m, mais, à plusieurs reprises, les pilotes n’ont rencontré aucune ascendance exploitable sur une distance de 4500 m ou plus.
Dans les deux journées, le maximum des occurrences se situe autour de 1100 m, mais à Chamery, on observe de nombreuses distances courtes, dans les classes 500 m et 700 m et moins vers 1700 et 1900 m qui sont les distances favorables aux bonnes transitions.
Avec une épaisseur de CLA de 1300 à 1500 m, on conçoit qu’une transition de sept kilomètres représente un risque majeur. Avec une voile de finesse 10, une telle transition représente une perte d’altitude de 700 m, donc la perspective de se retrouver à 600 m de hauteur. Il devient difficile de trouver, à cette hauteur le thermique salvateur qui permettra de poursuivre la route. C’est la raison, sans doute, pour laquelle il n’y a sur ces deux journées et ces huit traces aucune transition d’une amplitude supérieure.
Ces résultats donnent une bonne image de la structure de la CLA, avec un grand nombre de distances exploitables qui sont de l’ordre de l’épaisseur de la couche thermique. Cette image n’est toutefois pas totalement objective. Elle le serait si les pilotes se déplaçaient au hasard. A l’évidence, ce n’est pas le cas puisque l’art des pilotes est de rechercher, en fonction de l’état du ciel, les zones les plus favorables.