La Creuse marque un net changement du paysage. On s’approche du Massif Central. L’altitude s’élève très progressivement de 200 à 400 m sur 25 kilomètres. Les cultures ont cédé la place à des prés d’élevage entourés de haies. Les cours d’eau s’écoulent vers le nord-ouest encadrant de vastes ondulations.
La masse d’air
A chaque giratoire, on peut calculer la vitesse du vent et sa direction. On peut reporter sur un graphique sa composante nord et sa composante est. Comme on l’a déjà montré, ces composantes sont fluctuantes avec des écarts à la moyenne qui peuvent atteindre 10 km/h. Lorsque l’on examine les valeurs relevées pour ce vol, on constate un net changement entre 16 heures 10 et 16 heures 45. La composante Est est particulièrement fluctuante, et la composante nord, stable jusque-là se met à augmenter régulièrement.
En montant, l’air se refroidit, mais il arrive un moment où il se refroidit plus vite que l’air environnant : c’est l’inversion. La montée ralentit puis s’arrête. Par mélange, les colonnes thermiques réchauffent les couches d’air qu’elles traversent. Le brassage crée une couche dont la température potentielle est uniforme : C’est la Couche Limite Atmosphérique. Attention, la température potentielle n’est pas la température de l’air ambiant, c’est la température que prendrait une particule d’air environnante ramenée à la pression de référence de 1000 hpa. Comme en altitude la pression environnante est inférieure à 1000 hpa, il faut comprimer la particule pour l’amener à 1000 hpa et la compression dégage de la chaleur. En altitude, la température potentielle est donc toujours plus élevée que la température environnante. Elle est très utilisée pour interpréter les sondages car son gradient conditionne la stabilité de l’atmosphère. Cette heure correspond au franchissement de la Creuse. Il est donc possible que la masse d’air ait changé à ce moment-là, à l’approche du Massif Central.
Les thermiques 63 et 64
Martin enroule imperturbablement un thermique devenu consistant. Le vent météo s’est renforcé. Après 83 tours, il parvient à 1713 mètres d’altitude. Une petite transition vers le sud l’amène à son 64ème thermique de la journée qui monte jusqu’à 2018 mètres. La figure suivante montre ces deux thermiques verticalisés, donnant un vent de 35 km/h venant du 343°.
Le thermique 63 tient dans un carré de 400 m de côté alors que Martin a dérivé sur plus de 15 kilomètres. On voit qu’il s’est repositionné deux fois pendant la montée, mais le vent de verticalisation n’a pas changé. Si l’on examine le giratoire de 17 heures 13 à 17 heures 22 qui dure 9 longues minutes et 400 m d’ascension, on trouve un résultat plus remarquable encore : le centre des cercles ne bouge pas de plus de quelques mètres ce qui implique une extrême stabilité du vent météo à 34,810 km/h.
Pour autant, il ne s’agit pas d’une masse d’air qui monte en bloc. En effet, le vario évolue constamment. C’est bien une colonne thermique qui se déplace d’un mouvement extrêmement uniforme. Sur la figure précédent celle ci-dessus, on voit que le 64ème thermique est animé d’un mouvement un peu différent, mais ceci n’apporte pas la preuve qu’il s’agît d’un thermique vraiment distinct.
Point de départ de l’air chaud
Dans l’article précédent, on a exposé une méthode pour calculer le point de départ de l’air chaud qui est venu alimenter chaque point de la colonne thermique. Dans le cas présent, où le thermique dure particulièrement longtemps, sa trace sur le sol peut apporter des informations intéressantes. La figure 54 présente le relief de la région survolée.
Les courbes de niveau ont été surlignées : en bleu pour la plus basse à 270 m d’altitude, en rouge pour la plus haute à 390 m. Il y a une courbe tous les 20 mètres avec une couleur qui passe progressivement du bleu au rouge. En haut de l’image, on distingue nettement le cours du Vicoin, petit affluent de la Creuse qui s’écoule vers l’ouest. Un peu au sud, on remarque une longue croupe qui remonte vers le sud-ouest jusqu’à un plateau à 390 m puis une dépression qui est occupée dans sa partie supérieure par le grand étang de la Chaume. La figure 55 montre la suite du relief vers le sud. On voit un autre plateau à 390 m dans la continuité du précédent.
La figure suivante montre où se situent les points de départ de l’air chaud.
On a tracé un point pour chaque tour de giratoire des thermiques 63 et 64. Tous les points sont alignés sur une droite. Il n’y a donc pas une errance du thermique qui se déplacerait en fonction des zones générant de l’air chaud. Mais on remarque aussi que les points se regroupent en trois zones. Les deux premières correspondent au thermique 63. L’air chaud qui alimente longtemps le début du thermique part d’un plateau situé en rive droite du Vicoin près d’une ferme appelée « la Grande Métairie ». Il est faiblement incliné vers l’ouest. Le point de départ calculé fait plusieurs allers et retours sur une distance d’un kilomètre environ. Puis le point de départ se déplace rapidement, franchit le Vicoin, remonte la pente NW et traverse l’autoroute sans s’arrêter. Il ralentit lorsqu’il atteint la vaste croupe qui descend du hameau de Bois Bimbet. Là encore, le point de départ fait plusieurs allers et retour à l’ouest de Bois Bimbet, mais sans jamais descendre jusqu’à l’étang de la Chaume. A la fin du thermique 63, le point de départ quitte brusquement la zone de Bois Bimbet et vient s’établir six kilomètres plus loin, sur le second plateau, à 390 m d’altitude. Pendant tout le thermique 64, il oscille le long d’une ligne qui se trouve un peu au-delà du point culminant. Il faut noter que dans le thermique 64, le pilote est à 1500 m de hauteur. De ce fait, le calcul du point de départ est moins précis. Cependant, les points successifs restent bien groupés. La trace au sol donne l’impression que le thermique est alimenté de préférence par ces zones plates ou faiblement bombées, encadrées par des ruisseaux dont le cours est bien marqué.
Les nuages
L’analyse de la trace a un défaut. Elle ignore l’étendue et la position des nuages. Or ceux-ci ont une influence déterminante sur le chauffage du sol et sans doute aussi sur le déclenchement des thermiques. Ils peuvent aussi modifier la vitesse ascensionnelle de l’air au sommet du thermique ce qui a une incidence sur le calcul du point de départ de l’air chaud. Les conclusions suivantes doivent donc être prises avec prudence.
Conclusion
L’analyse des thermiques 63 et 64 du vol record de Martin Morlet du 1er mai 2016 donne des indications intéressantes sur le comportement des thermiques de plaine. Elle montre qu’un thermique peut persister pendant plus de 30 minutes et avoir une trace sur le sol qui s’étend sur près de 15 kilomètres. Comme c’est le pilote qui, arrivé au plafond, a décidé de quitter le thermique, il est fort possible que celui-ci ait continué sa course. Dans l’article précédent, on soulignait que le relief de plaine avait peu d’influence sur le départ des thermiques. Le point de départ de l’air chaud a été calculé comme dans l’article précédent. On observe sur la trace trois zones de départ privilégiées. Elles font un à deux kilomètres de longueur. La première est un plateau faiblement incliné vers le sud-ouest. La seconde, une longue croupe orientée du NW au SE qui se termine au dessus d’un vaste étang. La troisième, à la fin d’un dôme très plat, à 390 m d’altitude, qui marque le point culminant du paysage. En revanche, les vallées, peu profondes mais néanmoins bien marquées, ne produisent aucun départ d’air chaud.